…Il nous faut faire à ce point de la présentation un détour par l’évocation du processus historique de genèse des communautés tsiganes et par l’«histoire des Tsiganes» tout court. Deux conceptions divergentes de cette histoire existent. Celle qui fait figure de paradigme établit une origine commune, située dans le nord-ouest du sous-continent indien, que les ancêtres des Tsiganes, des Rom, des Gitans… auraient quitté vers le Xe siècle de notre ère pour entreprendre une migration qui les a conduits à être présents sur les cinq continents (Vaux de Foletier 1971 ; Frazer 1992). L’argument principal qui soutient cette thèse est l’étude de la langue parlée dans ces communautés. Dans la migration, tous n’auraient pas suivi les mêmes itinéraires et par conséquent n’auraient pas rencontré les mêmes populations, populations avec lesquelles ils ont eu des échanges ; ils n’auraient donc pas tous subi les mêmes influences, et pas tous connu, selon les endroits où ils séjournaient et selon la durée de ces séjours, les mêmes expériences historiques. Cette diversité des itinéraires et des expériences aurait produit les différents groupes tsiganes.
L’autre conception ignore toute origine exotique et voit la diversité comme étant originelle : ces groupes, apparus dans le paysage européen durant la période qui fait transition entre le Moyen Âge et la Renaissance, seraient issus des sociétés locales, composés de personnes de diverses provenances que le processus d’entrée dans l’âge moderne aurait laissées de côté (voir, entre autres, Okely 1983 : 8-21) – un tel processus apparaît effectivement à l’origine de l’existence des Tinkers d’Irlande et d’Écosse, des Travellers d’Angleterre et, un peu plus tard, des Yéniches. Instaurer un critère de discrimination entre « vrais Tsiganes » (ceux de l’origine exotique) et « autres » (ceux de l’origine locale) n’est pas pertinent en regard des pratiques des individus ainsi désignés ; c’est là un des acquis de l’enquête de terrain. Les deux thèses posent de nombreuses difficultés. Et ce sont sur ces difficultés que nous avons décidé de passer, non pas à cause de l’impossibilité de leur conciliation mais du peu d’importance de ce débat. En effet, il nous semble que pour rendre compte de ce que sont les Tsiganes aujourd’hui, ce n’est pas l’enracinement qu’il convient de prendre encompte mais le déracinement – le déracinement, qu’il s’agisse de la thèse indienne ou de la thèse européenne, comme point de départ.
Cependant, approche historique et approche ethnologique convergent pour nous faire découvrir, au-delà de la diversité, un certain nombre de traits communs :
• l’immersion. Nous ne rencontrons des Tsiganes que dans des territoires déjà occupés par une autre ou plusieurs autres populations ;
• la dispersion. Certes il existe ici ou là des villages et des quartiers dits « tsiganes », mais dans l’immense majorité des cas, les communautés (dont les dimensions excèdent celles du village ou du quartier) se trouvent éparpillées au milieu d’autres populations, dans une ville, une région, des régions voisines, un pays, plusieurs pays, sur la planète ;
• l’illégitimité. Précisément : l’illégitimité de la présence. Il ne s’agit plus ici d’un critère objectif mais du regard porté sur la présence tsigane. Pour la ou les populations qui se pensent comme les occupants légitimes du lieu où vivent les Tsiganes (et qui parfois se battent entre elles pour établir cette légitimité), ils sont des intrus. Il peut y avoir des infléchissements dans cette attitude à l’intérieur de telle ou telle configuration historique, c’est-à-dire des infléchissements provisoires.
(Source « Des Tsiganes en Europe » in Ethnologie de la France, sous la direction de Michael Stewart & Patrick Williams )
GENS DU VOYAGE – Le droit de vivre
Le Droit de Vivre est un film réalisé en 2004 par Roland Cottet, réalisé pour FR3 Provence
Un film pour dire la difficulté qu’ont les Gitans, les Tsiganes, les Yéniches, les Gens du Voyage à vivre selon leur culture au début du XXIème sciècle en Provence et dans le reste de la France. De beaux témoignages vrais et variés.
Le travail de mémoire du Centre culturel et de Documentation des Sinti et Roma à Heidelberg avec Romani Rose